Mapenzi Kisungi, 32 ans, devait accoucher de son sixième enfant en février, au moment où les autorités de facto prenaient le contrôle de la ville de Bukavu.
J’avais très peur et je me demandais comment j’allais accoucher pendant cette période où nous étions enfermées à la maison. Comment arriver à l’hôpital lorsque les contractions vont commencer. Je pensais déjà à acheter une lame de rasoir pour me préparer à accueillir mon bébé à la maison et me préparer à couper seule le cordon ombilical. » se souvient-elle.
Au milieu de toutes ses inquiétudes, un message est arrivé sur son téléphone. C’était un message de l’hôpital Général de Référence de Panzi, porteur d’un grand soulagement. Pendant cette période de crise, l’hôpital avait mis en place un numéro vert, permettant aux malades d’appeler gratuitement l’ambulance pour leur permettre d’atteindre l’hôpital et leur assurer le retour à la maison après des soins appropriés. Ce numéro était communiqué aux femmes enceintes lors des consultations prénatales (CPN).
Lorsque les contractions ont commencé, Mapenzi a appelé à l’aide en utilisant le numéro vert. L’ambulance n’a pas tardé à arriver pour la chercher à son domicile, malgré la distance. Les rues de Bukavu étaient désertes et l’on n’entendait que des coups de feu.
Dans l’ambulance, l’inquiétude persistait : allait-elle trouver des médecins à l’hôpital ? Ces questions lui traversaient l’esprit et elle avait très peur.
Lorsque je suis arrivée dans l’enceinte de l’hôpital, les médecins sont venus m’accueillir et m’ont conduite jusqu’à la maternité où j’ai trouvé les sage-femmes qui m’ont très bien reçue. N’avaient-elles pas fui les tirs ? » s’interrogea-t-elle.
Pendant cette période, les douze sage-femmes étaient bloquées ici, à l’hôpital. Ce moment de crise, nous ne souhaitons pas qu’il se reproduise. Le risque était permanent, ici à l’hôpital comme dans l’ambulance pour aller chercher les malades et le personnel. Nous pratiquions des accouchements sous les balles. Il nous arrivait d’abandonner la mère et le bébé pour vous abriter sous la table d’accouchement lorsque les tirs s’intensifiaient » témoigne Francine Cirhakonda, sage-femme à l’hôpital Général de Panzi
Après une prise en charge visant à déstresser Mapenzi et à lui faire oublier les tirs et la situation à l’extérieur, les dernières contractions se sont intensifiées et elle a donné naissance à son sixième enfant.
Cécile Heshima, également sage-femme, se souvient de ces moments pénibles :
C’était difficile parce que nous recevions des femmes traumatisées. D’ailleurs, le 14 février, j’ai utilisé 200 ampoules de salbutamol, soit le double de ce que nous administrons habituellement, car il y avait huit cas de menaces d’accouchement prématuré et douze cas d’avortements dus au stress et au manque de soins. Rien que pour le mois de février, l’hôpital de Panzi a réalisé 200 accouchements. »
Pendant ce temps, nous mangions gratuitement à l’hôpital, nous, les hospitalisés et nos accompagnants, ajoute Mapenzi.
Je ne sais pas comment les malades s’en seraient sortis si l’hôpital n’avait pas pris cette initiative. On ne pouvait pas nous apporter la nourriture de la maison, car il n’y avait pas de transport. Personne ne pouvait risquer sa vie en cette période. Je remercie l’hôpital de Panzi, UNFPA et le Royaume Uni pour cette initiative qui a sauvé la vie des femmes et de leurs bébés. »
Appui au plan de contingence
En janvier 2025, les militaires du M23 avaient pris la ville de Goma et les combats s’étaient rapprochés de Bukavu, installant la panique et la psychose jusqu’à la prise de la ville le vendredi 16 février 2025. Tirant des leçons apprises concernant les défis rencontrés à Goma en ce qui concerne le maintien des services de prise en charge médicale lors des affrontements qui avaient conduit à son occupation par le M23, UNFPA, grâce au soutien du projet financé par le Foreign, Commonwealth and Development Office (FCDO) du Royaume-Uni, avait appuyé le plan de contingence de l’Hôpital Général de Référence de Panzi pour l’achat de médicaments, la prise en charge de l’ambulance, des sage-femmes, des malades, notamment les femmes enceintes et les survivantes des violences basées sur le genre (VBG). Ce plan de contingence a permis d’éviter de tomber dans la situation que la ville de Goma avait subie : maternité fermée, la pénurie de produits essentiels, la réduction des fournitures essentielles comme le carburant pour les ambulances, etc. A Bukavu, les femmes enceintes et les survivantes de VBG ont été prises en charge grâce à une équipe des prestataires qui est restée permanente à l’hôpital.
Mortalité maternelle toujours préoccupante dans la province
En 2025, la situation de la santé maternelle au Sud-Kivu demeure préoccupante. Le taux de mortalité maternelle est élevé en raison des difficultés d’accès aux soins. Le conflit en cours, la destruction des centres de santé et les déplacements de population aggravent la situation, rendant encore plus difficile la prise en charge des femmes enceintes. Selon un rapport de la Division provinciale de la santé du Sud-Kivu, la province a notifié 20 décès maternels en janvier 2025 contre 11 décès maternels pour le mois de janvier 202
De plus, la province connait un manque de sages-femmes humanitaires pour sauver la vie des femmes surtout en cette période de crise. La vie des femmes continue à rester en danger dans cette partie du pays avec le manque des médicaments, la destruction de centre de santé et surtout l’interruption des accords de financement américains qui soutenaient les services vitaux.
L’histoire de Mapenzi rappelle une réalité trop souvent ignorée : en temps de guerre, accoucher devient un acte de survie. Grâce au soutien du FCDO et à l’appui de UNFPA, des femmes ont été évacuées, soignées et protégées au prix du courage des sage-femmes restées en poste sous les coups de feu.