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République Démocratique du Congo : Ce que révèle la véritable crise de la fécondité

République Démocratique du Congo : Ce que révèle la véritable crise de la fécondité

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République Démocratique du Congo : Ce que révèle la véritable crise de la fécondité

calendar_today 17 Juin 2025

Ombeni Mburano, enceinte de sept mois, devant les ruines d’un abri de fortune frappé par une bombe, dans un site informel de déplacés à l’ouest de Goma. © UNFPA RDC Jonas Yunus
Ombeni Mburano, enceinte de sept mois, devant les ruines d’un abri de fortune frappé par une bombe, dans un site informel de déplacés à l’ouest de Goma. © UNFPA RDC Jonas Yunus

Je voulais trois enfants. J’en ai eu cinq déjà et le sixième va naître bientôt. Je n’ai jamais eu le choix. » Témoignage d’Ombeni Mburano, 31 ans, déplacée de Sake en territoire de Masisi. Comme des milliers de femmes et filles congolaises, elle incarne une réalité trop souvent passée sous silence : celle d’une crise profonde du libre choix en matière de procréation.

En RDC aussi, de nombreuses personnes n’ont pas la taille de famille qu’elles souhaitent

Près d’un adulte sur cinq dans le monde se voit privé du droit de fonder la famille qu’il souhaite, alerte UNFPA dans son rapport mondial sur l’état de la population 2025. En RDC, ce constat résonne dans les zones de conflit ou les quartiers périurbains. 

Si certaines femmes comme Ombeni ont eu plus d'enfants qu'elles n'en avaient l'intention, d'autres, comme Clarisse, âgée de 22 ans, ont du mal à concevoir. À la suite de complications liées à une infection non soignée durant son adolescence, en raison d'un manque d'information et de soins, elle a gardé des séquelles durables. Depuis son mariage il y a deux ans, Clarisse tente sans succès d'avoir un enfant. Aujourd'hui, elle vit sous pression : sa belle-famille s'impatiente et son mari prend ses distances. 

Les pressions sociales, le manque d'informations fiables, l'opposition des partenaires et les obstacles économiques sont autant de facteurs qui entravent les aspirations en matière de procréation.

Dans notre pays, ce n'est pas toujours vous qui décidez si vous voulez un enfant ou non. Parfois, c'est votre famille, votre mari... ou simplement les circonstances de la vie », explique Ombeni.

Les mots en disent long. En RDC, derrière chaque grossesse non désirée, il y a souvent une femme ou une fille qui n'a pas eu le droit ou la possibilité de décider.

Ce n’est pas le désir d’enfant qui diminue, mais la possibilité de choisir

Ombeni, son époux et leurs enfants, réunis devant leur abri de fortune dans un site de déplacés à l’ouest de Goma, après avoir fui les violences. © UNFPA RDC Jonas Yunus
Ombeni, son époux et leurs enfants, réunis devant leur abri de fortune dans un site de déplacés à l’ouest de Goma, après avoir fui les violences. © UNFPA RDC Jonas Yunus

Le rapport sur l'État de la population mondiale 2025 de UNFPA intitulé « The real fertility crisis », le rappelle : la plupart des gens souhaitent avoir deux enfants ou plus. Mais en RDC, la pauvreté, les violences sexuelles, les mariages d’enfant, les déplacements forcés et la précarité de l’emploi empêchent trop souvent de planifier sereinement une maternité.

À Goma, dans un centre de santé soutenu par UNFPA, la sage-femme Espérance explique :

Beaucoup de jeunes filles disent qu’elles veulent attendre avant d’avoir un enfant. Mais elles n’ont ni les moyens de se protéger, ni la capacité de dire non. »

Ce constat, partagé par de nombreux prestataires de soins en RDC, révèle une réalité alarmante : le manque d’autonomie reproductive reste la norme pour des milliers de jeunes filles et femmes. Quand l’information est absente, que les contraceptifs sont inaccessibles ou socialement rejetés, et que les rapports de pouvoir dans le couple sont déséquilibrés, le choix devient une illusion. Ce n’est pas qu’elles ne veulent pas attendre ou planifier, c’est qu’on ne leur donne tout simplement pas les moyens.

Des grossesses non intentionnelles, encore trop fréquentes

Dans un site de déplacement en RDC, Elisée Katsongo, 20 ans, vit sa grossesse sans soutien adéquat, sans l'avoir vraiment choisie. RDC. © UNFPA RDC / Jonas Yunus
Dans un site de déplacement en RDC, Elisée Katsongo, 20 ans, vit sa grossesse sans soutien adéquat, sans l'avoir vraiment choisie. RDC. © UNFPA RDC / Jonas Yunus

Le rapport révèle qu’environ une personne sur trois a connu une grossesse non intentionnelle. Et près de 20 % subissent des pressions pour avoir des enfants. En RDC, ces chiffres prennent une résonance particulière dans un contexte où les conflits armés aggravent l’exposition des femmes et filles aux violences sexuelles. Selon l’EDS-RDC III (2023–2024), près d’une naissance sur trois n’est pas planifiée et une femme sur cinq présente un besoin non satisfait en contraception moderne, bien qu’elle souhaite retarder ou éviter une grossesse.

Etiennette Mukwanga, psychologue clinicienne de UNFPA dans l’est de la RDC, observe :

Beaucoup de survivantes viennent dans nos espaces sûrs après avoir accouché d’un enfant issu d’un viol. Elles n’ont jamais été préparées, ni physiquement, ni émotionnellement. »

Ces paroles soulignent l’une des facettes les plus tragiques de la crise du libre arbitre en matière de procréation en RDC : la maternité imposée par la violence. Pour ces survivantes, devenir mères n’a pas été un choix, mais une conséquence brutale d’un traumatisme. Dans un contexte où les services de soutien psychologique sont encore trop rares et l’accès à la contraception d’urgence limité, trop de femmes se retrouvent seules face à une grossesse non désirée, sans accompagnement ni possibilité de décider pour leur propre corps.

Les politiques doivent s’attaquer aux causes structurelles, pas dicter les choix

A Un couple marié se rend dans un centre de santé à Goma où il reçoit des informations sur la planification familiale d'une sage-femme. Ils décident d'utiliser la contraception pour espacer leurs grossesses en toute sécurité. © UNFPA DRC / Junior Mayindu
Un couple marié se rend dans un centre de santé à Goma où il reçoit des informations sur la planification familiale d'une sage-femme. Ils décident d'utiliser la contraception pour espacer leurs grossesses en toute sécurité. © UNFPA DRC / Junior Mayindu

Les expériences internationales montrent que les politiques de natalité autoritaires échouent. Offrir des allocations ou restreindre l’accès à la contraception n’apporte pas de solutions durables. Au contraire, ce qu’il faut, c’est renforcer l’accès aux droits et à la santé reproductive, comme le souligne le rapport : « La réponse réside dans le libre arbitre, la capacité de choisir librement, en toute sécurité et dignité. »

Ce principe, réitéré avec force dans le rapport de UNFPA, ramène au centre du débat ce qui a trop souvent été ignoré : les décisions relatives à la fécondité doivent appartenir aux individus eux-mêmes, et non aux politiciens, aux traditions ou aux circonstances. Garantir le libre arbitre ne consiste pas seulement à fournir des services ; il s'agit de créer un environnement dans lequel chaque personne peut décider, sans crainte ni contrainte, si et quand elle veut avoir un enfant. C'est là que s'opère la véritable transformation.

Les Congolais ont besoin de sécurité, d’égalité  et d’espoir

Des femmes enceintes arrivent pour une consultation prénatale au Centre de Santé du camp de déplacés de Kigonze, à Bunia, en Ituri. © UNFPA RDC / Jonas Yunus
Des femmes enceintes arrivent pour une consultation prénatale au Centre de Santé du camp de déplacés de Kigonze, à Bunia, en Ituri. © UNFPA RDC / Jonas Yunus

À Bunia, à Beni, à Bukavu ou dans les montagnes du Nord-Kivu, les histoires se rejoignent. Ce n’est pas le désir d’enfant qui s’éteint, mais l’absence d’options viables. Le chômage, l’insécurité, les soins de santé inaccessibles étouffent l’espoir.

Pour Dr Solange N. Ngane, Coordinatrice du programme de santé sexuelle et reproductive de UNFPA à Goma, Nord-Kivu, la clé réside dans la confiance :

Lorsque les femmes savent qu’elles seront accompagnées, qu’elles peuvent dire oui ou non, qu’elles peuvent s'épanouir, étudier, travailler et aimer librement,  qu'ils reviennent à eux également de faire le choix et prendre des décisions en matière de procréation alors seulement elles peuvent envisager de fonder une famille. »

Le rapport mondial de UNFPA 2025 dresse un constat limpide : la véritable crise de la fécondité ne se mesure pas en courbes démographiques, mais dans les cœurs et les corps de millions de personnes privées de choix. En RDC, dans un contexte d’urgence prolongée, garantir le libre arbitre en matière de procréation n’est pas un luxe : c’est une urgence humanitaire.

UNFPA agit pour que chaque grossesse soit désirée et que chaque femme puisse choisir son avenir

En RDC, UNFPA renforce l’accès à la planification familiale, même et surtout en temps de crise. Dans l’est du pays, des espaces dédiés à la planification familiale sont aménagés au sein des structures de santé soutenues, tandis que des stratégies communautaires sont déployées pour rapprocher les services des femmes déplacées, retournées et issues des communautés locales.

Dans chaque structure, une sage-femme superviseure accompagne les femmes dès le post-partum. En parallèle, des agents de santé communautaires, formés et équipés, proposent des méthodes contraceptives modernes à travers des sensibilisations de masse et des visites à domicile.

L’objectif est clair : permettre à chaque femme de décider librement quand, et avec qui avoir un enfant. La planification familiale est bien plus qu’un service, c’est un droit fondamental, un levier d’égalité, d’autonomisation et de lutte contre la pauvreté.