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En tant que survivant de la 10e épidémie de la maladie à virus Ebola, quels sont aujourd’hui vos sentiments ?

 C’est une immense joie pour moi de me retrouver parmi les survivants, car 66% de personnes victimes de la Maladie à Virus Ebola (MVE) sont décédées. Mes remerciements s’adressent au créateur du ciel et de la terre ainsi qu’aux prestataires des soins.

A Beni où vous vivez, beaucoup de gens doutent encore de cette maladie. Vous arrive-t-il parfois de nourrir le même sentiment ?

Je n’ai jamais douté un seul instant de l’existence de la MVE d’autant plus j’en ai souffert et j’ai aussi étudié cette maladie il y a 10 ans à l’Université.

Et pourtant tout au début de votre maladie, vous avez recouru aux méthodes traditionnelles pour vous soigner. Avec du recul, pensez-vous avoir réussi ou simplement que vous avez plutôt été miraculé ?

Je suis médecin de formation et je me suis fait contaminer dans l’exercice de mes fonctions le 5 Juillet 2018. Le malade qui m’a contaminé a été accompagné par sa famille qui croyait que le malade a été empoisonné (ils sont venus  après avoir été chez un tradipraticien) ; J’ai développé par la suite  des symptômes de la MVE  et je me suis fait soigner d’abord au Centre de Santé de Référence Mangodomu (où je faisais des prestations) durant 2 jours, puis hospitalisé au Centre Hospitalier Lakarmissionen à BENI, avant d’être  référé à l’Hôpital Général de Référence d’OICHA. Pendant ma convalescence, mon épouse est tombée malade et les équipes de la riposte sont venues m’investiguer et après validation, j’ai été acheminé au Centre de Traitement d’Ebola (CTE) de BENI où le résultat du Sperme est revenu positif à la MVE (le sang est testé négatif car j’étais déjà guéri) ;


Le Cube 6 : Espace de soins intensifs réservé  au  personnel médical contaminé au virus Ebola dans le centre de traitement de Beni

 

A un moment donné, votre épouse a aussi souffert de la maladie. Avez-vous des regrets pour l’avoir contaminée ?

C’est la vie. Mais je ne savais pas, d’autant plus que je suis sorti guéri sans le savoir

Votre couple est désormais un modèle de réussite post Ebola. Vous arrive-t-il d’affronter dans votre vie de couple des défis liés à votre antécédent avec la maladie ?

Au départ, nous avons eu peur de contaminer notre unique enfant (car le virus persiste dans l’organisme) ; nous avons été contraint de recourir à une planification familiale jusqu’à ce que nous obtenions tous les deux, deux tests négatifs consécutifs dans nos liquides biologiques ;

Vous et votre femme êtes encore jeunes. Etes-vous toujours tentés d’avoir d’autres enfants après des deux tentatives qui n’ont pas abouti ?

Absolument, à partir du moment où nous avons tous obtenus 2 tests négatifs consécutifs. Assez récemment, nous avons connu une grossesse molaire qui a été évacuée

En tant que médecin, êtes-vous parfois tenté de lier ces difficultés à la MVE ?

Parfois oui

Vous avez été très actifs dans le regroupement des survivants de cette maladie. Quel est le bien-fondé de cette association et quelles sont les activités que vous y menez ?

C’est dans le souci de participer activement au processus de résilience, mais aussi d’aider les familles et communautés affectées par la maladie à Virus Ebola que nous avons procédé à la mise en place de l’Association Nationale des Vainqueurs d’Ebola. Nos objectifs sont : (i) de soutenir l’ensemble des guéris d’Ebola aussi bien au niveau psychosocial qu’au niveau sanitaire ; (ii) d’impliquer l’ensemble des guéris d’Ebola dans la surveillance de la Maladie à Virus Ébola (MVE) ; (iii) d’assurer l’engagement communautaire de tous pour l’éradication de  cette épidémie ;  et enfin (iv) d’faciliter l’expression d’une volonté d’autonomie et de participation efficace dans le processus de développement socio-économique des survivants.

Quelles sont les difficultés qui vous sont  remontrées par les membres en relation avec la contraception, notamment l’utilisation des préservatifs et la planification familiale ?

Certaines femmes signalent que leurs maris refusent l’utilisation des préservatifs. Certains guéris souhaitent que les IMPLANTS soient rendus disponibles au niveau des cliniques de suivi des guéris car à ce jour, seuls les préservatifs sont disponibles dans ces cliniques.

Récemment, vous avez démissionné de la présidence de l’association des vainqueurs. Est-ce lié à un risque de stigmatisation ou carrément par peur des représailles de ceux qui rejettent l’existence de la maladie ?

J’ai été élu président de l’association le 15/11/2018 pendant que j’étais médecin traitant au niveau du CTE BENI. En Avril 2019 j’ai postulé à un poste au niveau de l’OMS où j’ai été retenu comme point focal du Suivi des Survivants de la MVE. Avec ce nouveau post, il m’est difficile de continuer avec la présidence de l’Association des Vainqueurs d’Ebola. J’ai donc décidé de laisser cette responsabilité à mon Vice.


Dr Maurice Mutsunga totalement guéri, Aout 2020