Dans le quartier Lac Vert, à l’ouest de Goma, environ 40 femmes occupent la salle d’accueil de l’espace sûr Alléluyah. Assises sur des nattes formant un cercle, elles écoutent attentivement les conseils des psychologues.
Etiennette Mukwanga, psychologue clinicienne au Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA), commence la séance consacrée à l’estime de soi.
Ici, on ne soigne pas les corps, mais les blessures invisibles laissées par les violences et le stress dû aux déplacements. Être séparée de son foyer, perdre ses biens et ses moyens de subsistance engendre un profond sentiment de vide et d’insécurité ». souligne-t-elle avant d’ajouter « C’est un déracinement qui fragilise l’équilibre mental. Chaque mot échangé devient alors un pas vers la résilience, soulignant l’importance d’un accompagnement psychologique adapté pour aider les femmes à se reconstruire en toute dignité ».
Les informations que nous recevons ici sont très importantes. En tant que femmes, nous traversons des moments très difficiles marqués par des violences, la spoliation de nos biens, le déni de nos droits... Mais ici, on nous aide à croire de nouveau en nous. Et cela nous réconforte. » témoigne la présidente des femmes à l'espace Alléluyah.
Grâce à ce soutien psychologique, l’espace sûr Alléluyah est devenu un lieu de réparation intérieure, un cadre où les femmes et les filles vulnérables se retrouvent en toute convivialité.
Soigner les blessures invisibles : la force de la psycho éducation en contexte de crise
Selon le rapport de situation humanitaire de OCHA, publié le 25 mars 2025, la province du Nord-Kivu comptait 2,29 millions de personnes déplacées internes au 28 février, d’après les données du Comité de Mouvement de Population (CMP). Comme souvent dans ce type de crise, les femmes et les enfants constituent la majorité, exposés à des risques accrus de violence, de précarité et de rupture des repères. Dans ce contexte, l’estime de soi se fragilise, rendant l’accompagnement psychosocial essentiel pour permettre une reconstruction digne et durable.
Grâce aux espaces sûrs comme Alléluyah, appuyés par UNFPA, nous offrons aux femmes et aux jeunes filles un accompagnement psychosocial de qualité. Nous les aidons à se reconstruire, à reprendre confiance en elles et à se souvenir qu’elles ont de la valeur, même après tout ce qu’elles ont traversé. » indique Etiennette.
Depuis janvier 2025, plus de 350 femmes et filles déplacées et autochtones ont participé aux activités de psychoéducation organisées dans l’espace Alléluyah. Les séances collectives abordent des thématiques essentielles telles que la reconnaissance de ses qualités, la gestion des émotions, ou encore la déconstruction des pensées auto-dévalorisantes comme : « Je suis une incapable » ou « Je ne mérite pas mieux ».
Margueritte Basaza, assistante psychosociale de l’ONG ActionAid, au moins 150 femmes ont déjà bénéficié d’un appui financier pour lancer des activités génératrices de revenus (AGR), après avoir suivi des formations pratiques en plus de l’accompagnement psychologique.
Avant la reprise des affrontements armés, ces femmes ont été formées sur différents métiers comme la fabrication de savon liquide, la préparation de beignets, la confection de sacs, et bien d’autres compétences utiles pour lancer de petites activités génératrices de revenus. Malheureusement, tout cela a été perdu avec les déplacements. », déplore-t-elle.
L’espace sûr Alléluyah compte quatre psychologues qui animent deux à trois séances hebdomadaires, réunissant jusqu’à 50 participantes. Des ateliers ciblés aident les femmes à transformer leurs faiblesses en forces et à renforcer leur dialogue intérieur positif. Dans un contexte d’instabilité, la parole devient un acte libérateur. Ici au centre, les femmes s’expriment librement, partagent leurs vécus et s’inspirent de celles qui ont commencé à se reconstruire. Cette approche brise les tabous autour de la santé mentale et renforce la solidarité.
D’après Etiennette Mukwanga, 65 % des participantes ressortent de ces séances en se disant “apaisées” ou “renforcées”. Le processus suit une progression douce et structurée : apprendre à exprimer ses émotions, à reconnaître ses forces, à célébrer ses petites victoires, et à se reconnecter à ses propres valeurs.
Parmi les participantes, Hekima, 16 ans, une jeune fille du quartier, confie avoir trouvé ici les clés pour affronter les jugements blessants du quotidien. Dans un environnement marqué par la précarité et la stigmatisation, elle explique comment les critiques de ses pairs, mettant en doute sa valeur et ses capacités, l’avaient fragilisée. Aujourd'hui, grâce aux séances sur l’estime de soi, elle ose répondre avec confiance :
L’un des outils essentiels, c’est d’apprendre à désactiver la critique intérieure. Cette voix qui murmure : “je n’y arriverai jamais.” On encourage les femmes à la remplacer par un discours plus bienveillant : “je suis capable”, “je mérite le respect”, “je fais de mon mieux”. » a ajouté Étiennette.
Restaurer la dignité des femmes en temps de crise
Le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA), avec l’appui financier de la Direction générale de la protection civile et des opérations d’aide humanitaire européennes (ECHO), soutient plusieurs espaces sûrs dans l’est de la RDC dont 6 espaces sûrs à Goma.
En RDC, environ 20 % de la population souffrirait de troubles mentaux, mais seulement 5 % des personnes affectées ont accès à des soins adaptés, selon les données du Centre Neuro-Psychopathologique (CNPP, 2024). À Goma, où les crises humanitaires se prolongent et où les infrastructures sont sous pression, les besoins d’une prise en charge de la santé mentale sont d’autant plus aigus.
À lui seul, l’espace Alléluyah accueille en moyenne 500 femmes par mois, venues chercher un moment de paix intérieure et, parfois, un point de départ pour se reconstruire. Les évaluations internes montrent que ces interventions ont un impact réel sur la confiance, la stabilité émotionnelle et l’autonomie des participantes. Loin d’être accessoires, elles sont une réponse humanitaire essentielle, un levier concret de résilience.
Le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) travaille aux côtés des communautés en crise pour garantir aux femmes et aux filles un accès continu à la santé mentale, au bien-être et à la dignité. En RDC, UNFPA s’engage à renforcer les espaces sûrs comme Alléluyah, là où la résilience puise ses racines, que ce soit dans les sites de déplacés ou au cœur des communautés.