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Accoucher dans l’ombre des conflits et du retrait des accords de financement américains : le cri des sages-femmes en RDC

Accoucher dans l’ombre des conflits et du retrait des accords de financement américains : le cri des sages-femmes en RDC

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Accoucher dans l’ombre des conflits et du retrait des accords de financement américains : le cri des sages-femmes en RDC

calendar_today 29 avril 2025

À l’hôpital de Kyeshero, à Goma, une équipe de sages-femmes, soutenue par UNFPA, prodigue les premiers soins à un nouveau-né
À l’hôpital de Kyeshero, à Goma, une équipe de sages-femmes, soutenue par UNFPA, prodigue les premiers soins à un nouveau-né

Alors que les violences redoublent d’intensité dans l’est de la République Démocratique du Congo et que les financements humanitaires s’amenuisent, les sages-femmes continuent de sauver des vies dans l’ombre. Chaque jour, elles traversent des zones instables pour rejoindre des centres de santé débordés, souvent sans eau, sans lumière, ni matériel adéquat. Elles accueillent des femmes enceintes et restent à leurs côtés parce qu’aucune femme ne devrait mourir en donnant la vie.

À Goma, l’hôpital de Kyeshero reçoit chaque jour une dizaine de femmes enceintes déplacées et autochtones pour accoucher dans l’urgence et l’angoisse. Parmi elles, Dorcas Mugoli, 22 ans, déplacée de Masisi et forcée de quitter le site de Lushagala, démantelé en février sur décision des autorités de facto, elle a trouvé refuge dans une famille d’accueil à Goma. Avec une grossesse à terme, elle accouche à la maternité de l’hôpital de Kyeshero. Son histoire est celle de milliers d’autres femmes, à la croisée des conflits et de la précarité.

J’étais déjà en travail d’accouchement quand je suis arrivée. J’avais mal, je ne respirais presque plus. J’avais peur… tellement peur. La sage-femme s’est penchée vers moi et a dit doucement : “Ça va aller, je suis là.” À ce moment-là, j’ai su que je n’étais plus seule. », confie-t-elle, les yeux fatigués mais soulagés.

À la suite du démantèlement des camps des personnes déplacées internes de Bulengo, de Rusayo et de Lushagala, des centaines de femmes enceintes se sont retrouvées dans les hôpitaux comme celui de Kyeshero appuyé par UNFPA.

Quand les financements reculent, les risques augmentent

Une sage-femme administre les premiers soins oculaires à un nouveau-né pour prévenir les infections
Une sage-femme administre les premiers soins oculaires à un nouveau-né pour prévenir les infections

La pression sur les services de santé maternelle est aggravée par un autre facteur silencieux, mais tout aussi destructeur : l’interruption des accords de financement. En février 2025, le gouvernement américain a mis fin à 48 accords de financement avec les Nations-Unies, dont plusieurs soutenaient des services vitaux en RDC. Cette décision met en péril l’accès aux soins pour des milliers de femmes et des nouveaux nés dans les zones de crise.

Comme conséquence de cette décision « des femmes en zones de crise pourront accoucher sans médicaments, sans  l’aide des sages-femmes formées ni matériel de base, exposant leurs vies et celles de leurs bébés à des risques évitables. » À Kyeshero par exemple, cela se traduit déjà par des ruptures de stock et une pression insoutenable sur les sages-femmes.

Pourtant, le rapport intitulé ’Les accélérateurs de la profession de sage-femmes,  publié par UNFPA, UNICEF, OMS, ICM et Jhpiego lors de l’ouverture de la 58ème  session de la Commission de la population et du développement (CPD58) le 7 avril 2025 à New York,  montre qu’un cadre mondial est mis en place pour soutenir les sages-femmes, renforcer leurs capacités, et garantir leur déploiement là où elles sont le plus nécessaires. Mais sans financement adéquat, cette vision restera incomplète.

L’heure est venue pour les États, les institutions et les partenaires techniques et financiers de reconnaître que la santé maternelle n’est pas une variable d’ajustement budgétaire, mais un droit humain fondamental. Face à la détérioration des services de santé dans les zones de conflit, le Plan de réponse humanitaire 2025 pour la RDC souligne l’urgence de déployer davantage de sages-femmes qualifiées, afin de renforcer les soins prénatals, les accouchements assistés et les soins postnataux dans les zones plus exposées. Dans le cadre de cette initiative, UNFPA a déployé 165 sages-femmes dans 33 structures de santé de 4 zones de santé prioritaires du Nord-Kivu où les besoins sont les plus pressants.

Dorcas, un symbole de vie et de résilience

Premiers instants de vie : un nouveau-né repose sur le torse de sa mère après un accouchement sécurisé à l’hôpital de Kyeshero, à Goma
Premiers instants de vie : un nouveau-né repose sur le torse de sa mère après un accouchement sécurisé à l’hôpital de Kyeshero, à Goma

Dans le tumulte d’une crise prolongée en RDC, Dorcas Mugoli se montre plus résiliente. À 22 ans, déjà mère de trois enfants, elle a survécu au déplacement, à l’angoisse de l’accouchement, et à la fragilité d’un système de santé sous pression.

Mais elle n’est pas seule. À ses côtés, il y a Espérance Kibuya, la sage-femme. Grâce au soutien du projet financé par le Foreign, Commonwealth and Development Office (FCDO) du Royaume-Uni, elle et ses collègues peuvent encore intervenir, même dans les contextes les plus précaires.

« On fait ce qu’on peut, avec ce qu’on a… mais comment sauver des vies quand on n’a presque rien ? » murmure Espérance. « Même sans électricité, sans matériel, on reste. Parce que si nous partons, qui restera pour sauver la vie de ces femmes et leurs bébés ?» s'interroge-t-elle.

Selon le rapport "The State of the World’s Midwifery 2021", co-publié par UNFPA, l’OMS et l’ICM, chaque dollar investi dans les soins obstétricaux assurés par des sages-femmes peut générer jusqu’à 16 dollars de bénéfices sociaux et économiques. À l’Est de la RDC, là où les structures s’effondrent et les financements se retirent, les sages-femmes sont les dernières héroïnes à tenir la ligne. Mais elles ne peuvent pas continuer seules sans appui financier.