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L'expérience d'Oswald Chishugi à Bukavu

Quatre mois  après sa sortie du centre d’isolement de Bwindi à Bukavu où sont pris  en charge les malades de la COVID-19 (cas confirmés positifs) au Sud Kivu, Oswald MUDERWA CHISHUGI reste très préoccupé par l’attitude de certains de ses compatriotes qui continuent de nier l'existence de la nouvelle maladie du coronavirus encore appelée COVID-19.  

Oswald se dit préoccupé à la suite de l’alerte lancée par l’Organisation Mondiale de la Santé(OMS) qui relève de nouvelles vagues de contamination au lendemain de la levée des mesures restrictives observées un peu partout dans le monde. Dans une récente adresse, l’OMS souligne que cette pandémie durerait probablement longtemps, en relevant qu’il était important de poursuivre les efforts de riposte communautaires, nationaux, régionaux et mondiaux.  Son Directeur général, Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus estime que « cette pandémie est une crise sanitaire exceptionnelle, dont les effets seront ressentis pendant des décennies ». Il ajoute que « de nombreux pays qui croyaient que le pire était passé sont maintenant aux prises avec de nouvelles flambées. Certains pays qui ont été moins touchés au cours des premières semaines voient maintenant le nombre de cas et de décès augmenter. » Bien que le taux de létalité semble maitrisé, la République Démocratique du Congo son pays d'origine, continue d’enregistrer de nouveaux cas de contamination. De son coté, Oswald se dit indigné du fait que certains malades guéris du coronavirus auraient subi des menaces physiques des bandits qui leur réclamaient une partie d’argent imaginaire reçu des autorités.

En plus de ne pas croire à l’existence de la maladie malgré qu’elle continue d’infecter de nouvelles personnes, certains compatriotes font de plus en plus preuve d'hostilité envers les équipes d'intervention à travers le pays. Bien qu’étant expert dans les réponses humanitaires, il se voit pratiquement incapable de témoigner en faveur de la sensibilisation de ses compatriotes car pour un malade guéri du coronavirus, faire de la sensibilisation publique sur cette maladie à Bukavu, sa ville natale, comporterait un grand risque et pourrait conduire aux menaces verbales, physiques et raviver le feu de la stigmatisation sociale. Une fois déjà,  des populations  en colère ont tenté de saccager  le centre de Bwindi où Oswald a été soigné. Des attaques sur les équipes d'intervention par les communautés qui n'acceptent pas les mesures préventives instituées depuis mars 2020 sont encore signalées dans plusieurs coins du pays.


En plus des appuis institutionnels, L’UNFPA encourage les personnel de prise en charge des malades du COVId-19. Kinshasa Mai 2020.

Selon des sources publiques et les médias locaux à Kinshasa, une ville de plus de 15 millions d'habitants, des volontaires et autres membres de l’équipe de riposte seraient constamment traqués et séquestrés par les familles des malades. Dans le quartier périphérique de Kimbanseke, une équipe du comité psychosocial "aurait été menacée avec un couteau" alors qu'elle s'apprêtait à rendre compte des résultats de cas confirmés positifs. Oswald ne croit pas que toutes ces attaques soient uniquement liées au manque d’information sur la maladie par les communautés. Il estime que tous les leaders politiques ou d’opinions doivent avoir une seule voix pour le moment, celle de soutenir les actions de la riposte.


Dernier jour de Oswald Cishuhgi dans le centre de traitement du COVID-19 de Bwindi, 
Avril 2020.

En tant que spécialiste des Violences basées sur le Genre en situation humanitaire, Oswald est également préoccupé par l'augmentation du nombre de plaintes pour violences sexistes enregistrées dans les centres intégrés de services multisectoriels (CISM) financés par l'UNFPA.  Depuis le début du confinement à ce jour, les CISM ont enregistré une augmentation significative de près de 32% de dénonciations, soit un total de 9 335 plaintes contre 6 082 pour la même période de l'année dernière.

L'incertitude demeure sur la date probable de fin de la pandémie et Oswald se montre préoccupé par une éventuelle aggravation si les populations congolaises persistent à rejeter les prescriptions médicales. Durant une visite, il partage ses inquiétudes avec ses collègues du Fond des Nations Unies pour la Population(UNFPA).

Pouvez-vous encore vous rappeler comment vous en êtes arrivés à cette maladie ?

Oswald : NON, je ne peux pas me rappeler avec précision. J’étais arrivé à Bukavu le 18 mars après une mission de 10 jours à Ouagadougou au Burkina Faso. Deux jours après, soit le 20 mars,  j’avais senti les symptômes d’une grippe : gorge irritée,  maux de tête la journée et les frissons le soir. Le 21 mars, une toux sèche s’était ajoutée. Le 22 matin j’avais pris la décision de m’auto-isoler dans ma chambre à l’hôtel juste par précaution et j’étais parti à l’hôpital provincial général de référence de Bukavu pour faire des examens médicaux. J’étais reçu au service d’urgence de l’hôpital pour la consultation médicale. Considérant les symptômes de trois derniers jours et surtout le fait que je réside à Dakar(Sénégal), je viens d’une mission à Ouagadougou au Burkina, j’ai fait des transits à Lomé au Togo, à Douala au Cameroun et à Kigali au Rwanda et que dans tous ces pays il y avait déjà des cas positifs de la COVID-19, le médecin responsable du service des urgences m’avait dit que je suis un cas suspect du COVID-19 selon les directives de l’OMS. Il avait contacté la division provinciale de la santé pour le prélèvement des échantillons. Le test était effectué le 22 mars et j’ai reçu les résultats le 29 mars soit 7 jours après.

Maintenant que vous vous êtes remis de la maladie à coronavirus, pouvez-vous nous dire comment vous vous en êtes sorti ?

C’est difficile de répondre à cette question parce qu’il faut considérer plusieurs choses :

  • Je dois dire que faisant parti du système de Nations Unie j’avais la chance d’être déjà informé sur les symptômes du COVID-19, les moyens de prévention et la conduite à tenir si vous observez les symptômes. En outre je suis un humanitaire de terrain, mon premier réflexe est de sauver des vies. Je devais m’auto-isoler rapidement et alerter les services sanitaires pour me donner moi-même la chance de survivre et préserver la vie des autres, la nation congolaise et l’humanité étant menacées.
  • J’étais perturbé quand le médecin m’avait communiqué les résultats le dimanche 29 mars à 23h00. J’avais eu trop peur et j’étais inquiet. J’avais douté de la capacité locale pour soigner le COVID-19 sans possibilité d’organiser une évacuation médicale en cas de besoin. C’est là qu’intervient pour nous les croyants, l’aspect spirituel dans le processus de guérison et le renforcement de la résilience. J’ai trouvé la force dans la prière en faisant confiance en Dieu.
  • Le soutien psychosocial du personnel médical au centre d’isolement, le soutien familial, celui des collègues de travail et des amis était extrêmement important pour faire la balance et booster la guérison. Vous savez comment la stigmatisation sociale sur les réseaux sociaux était très forte après l’annonce publique de deux premiers cas confirmés positifs du coronavirus à Bukavu.
  • L’engagement rapide du gouvernement provincial du Sud Kivu et les partenaires dans la réponse à la COVID-19 dès la réception des premiers résultats était aussi un élément très capital.  Dès l’annonce des résultats, la prise en charge était automatique malgré les défis organisationnels et logistiques au démarrage.
  • Mon expérience de travail avec les survivants des violences basées sur le genre (VBG) pendant plus de 18 ans m’avait aussi beaucoup aidé. Je savais identifier les symptômes post traumatiques sur moi-même. Je capitalisais mes connaissances en « thérapie par traitement cognitif » en travaillant sur mes pensées pour modifier mes sentiments : je me disais par exemple : le fait d’être dans le centre d’isolement ne veut pas dire qu’on va mourir du COVID-19.
  • Le sport et les exercices mentaux. Je faisais tout pour me maintenir en forme sur les plans physique et mental au lieu de passer les journées et les nuits entrain de penser sur mon état de santé. Je n’aimais pas lire par exemple le nombre des décès annoncés dans les bulletins de l’INRB sur la situation du COVID-19 dans le pays. Je jouais moi-même au jeu de scrabble qu’un groupe des jeunes de Bukavu m’avait envoyé dans le centre d’isolement.

Maintenant que vous avez retrouvé une vie normale au sein de votre famille, quelles sont les mesures de prévention que vous avez mises en place pour éviter un développement négatif ?

Vous savez, cette pandémie de COVID-19 nous impose un autre mode de vie sur le plan culturel si nous voulons survivre individuellement et collectivement. Nous n’avons pas le choix malgré que cela soit difficile. Moi j’ai trop peur et je suis inquiet quand les gens nient ou banalisent l’existence du coronavirus en RDC. J’ai toujours pensé que malgré les conditions difficiles de survie, c’est toujours possible de respecter le minimum comme le port d’un masque fait maison, ne pas se serrer les mains, le respect de la distanciation sociale et se laver régulièrement les mains avec du savon. Mais il faut d’abord être conscient du danger.

Chez moi à la maison nous avons mis en places quelques mesures pour limiter les risques de contamination :

  • Mes mouvements et ceux des membres proches de ma famille sont limités aux seules sorties essentielles pour répondre aux besoins basiques (ex : aller au travail, au marché/alimentation, à la pharmacie)
  • J’ai renforcé les dispositifs d’hygiène à la maison et nous fournissons des efforts pour respecter les mesures barrières.
  • J’ai limité les visites à la maison. Chaque visiteur/visiteuse est soumis(e) aux mêmes règles que nous quelle que soient sa conviction sur la maladie : lavage des mains, port du masque et respect de la distanciation sociale. S’il a la grippe, je ne le reçois pas.
  • Pas de personne de ménage/domestique à la maison, nous nous organisons pour faire  nous-même tous les travaux dans la maison.

Alors que vous êtes en confinement, quels aspects du blocage actuel peuvent laisser place à des violences liées au genre ?

  • C’est clair que si les centres d’isolement ne sont pas organisés et aménagés de manière à prendre en compte les besoins spécifiques des femmes et filles, ces dernières seront exposées aux risques des VBG dont les abus sexuels, les agressions sexuelles ou physiques, les violences psychologiques par manque d’intimité, etc.
  • Des études montrent une forte corrélation entre la COVID-19 et l’aggravation de la vulnérabilité socio-économique des femmes et des filles, en particulier dans les sociétés où l'économie est faible et informelle comme en RDC. Ceci a un impact psychologique sur les femmes et filles qui doivent malgré elles jouer leur rôle traditionnel de genre, de nourricières des familles, docteur de la maison, etc. Vous savez aussi que dans beaucoup de nos familles à faible revenu, le choix d’aller vite à l’hôpital revient aux pères. Imaginer la charge psychologique si tu ne peux prendre toi-même la décision de te rendre à l’hôpital ou y amener rapidement un enfant même si tu es convaincu que les symptômes sont similaires à ceux du COVID-19.
  • Depuis le début de la pandémie COVID-19, l'augmentation de la violence domestique est estimée à 25 %, considérant les données fournies par les pays qui disposent des systèmes de collecte de données bien organisés.

Quels sont les conseils et les bonnes pratiques que vous pouvez donner aux gens et à leurs différentes communautés ?

  • Eviter le déni  de cette maladie. Accepter l’existence du coronavirus est une première étape importante pour se protéger et protéger les autres mais aussi une première étape pour guérir de cette maladie. Tu peux avoir des amis ou proches de la famille qui sont asthmatiques, diabétiques, hypertendus ou avec d’autres antécédents médicaux qui les rendent plus fragiles que toi. Pensez aux autres !
  • C’est une maladie qui fait trop peur. Il faut tout faire pour rester mentalement fort et déterminer à vaincre le combat. Si vous êtes croyants, moi je le suis, prier et demander à vos proches de prier pour vous pour chasser la peur et croire en votre guérison.
  • Respecter les mesures barrières et toutes les disposions prises par les autorités. Faites confiance aux institutions.
  • Consulter très tôt les médecins si vous faites la fièvre, vous avez la grippe et la toux. C’est vrai les soins coûtent chers en RDC et l’assurance médicale n’est pas accessible par la majorité de la population. Le confinement a aussi diminué de manière drastique les revenus de plusieurs ménages. Mais il est certain que les malades auront plus des chances de guérir si la prise en charge médicale commence tôt. En plus des médicaments, je peux recommander les aliments suivants selon mon expérience, mais qui ne remplace pas les soins médicaux : du thé au miel et au citron, les oignons rouges, les racines de gingembre et du poivre noir (communément appelé KECHU ici à Bukavu). Après 5 jours de trainement j’allais bien. J’avais seulement la toux quand j’étais confirmé positif le 29 mars.
  • Si vous le pouvez, faites des exercices physiques à la maison. Ça va améliorer votre sentiment de bien-être mental et physique.

Un autre grand défi concerne la gestion de la stigmatisation sociale pour vous-même et votre famille. C’est un cauchemar ! Ça pourrait même être la raison principale qui fait que certaines personnes ne se rendent pas à temps à l’hôpital pour chercher de l’aide. Pendant que vous êtes alité et vous battez contre une maladie mortelle, vous entendez les gens dirent que vous étiez payé pour mentir sur votre état de santé. Quelle peine ! La même moquerie est adressée à tous les membres de votre famille. Quelques fois, si quelqu’un vous aperçoit même à travers la fenêtre et à 30 mètre de vous, il bouche ses narines et crie « corona, corona ! » ; etc. Heureusement qu’à côté des forces négatives, il y a toujours des forces positives constituées des vrais amis, les familles, les collègues, etc. Ils étaient pour moi des sources des forces pendant ces moments difficiles. Ils m’envoyaient chaque jour des énergies positives et cela aide beaucoup à équilibrer les sentiments et accompagner le malade dans le processus de guérison. C’est très important de se reconnecter et maintenir le contact avec ces sources de forces.

                                                                                                                                                   Par Théophane PATINVOH, Goma